Notes pour une allocution devant le sous-comité de la sécurité publique et nationale sur l'examen triennal de la Loi antiterroriste, 2005
Par le très honorable Antonio Lamer
commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications
Le 15 juin 2005
Monsieur le Président, Messieurs Vice-présidents, Membres du Comité.
C'est un plaisir pour moi que d'être ici pour prendre part aux travaux de ce comité spécial qui examine la Loi antiterroriste. Je suis accompagné aujourd'hui par madame Joanne Weeks, ma directrice exécutive, et madame Colette D'Avignon, ma conseillère juridique.
La loi omnibus que vous examinez, la Loi antiterroriste, a introduit une modification à la Loi sur la défense nationale. Cette modification enchâsse dans la législation le mandat et les attributions du Centre de la sécurité des télécommunications ainsi que ceux du Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications – dont j'assume la direction. Le poste de commissaire du CST a été créé avant l'adoption de la Loi, en 1996, par décret en vertu de la Partie II de la Loi sur les enquêtes. La loi à l'étude reconduit les pouvoirs que confère au commissaire la Loi sur les enquêtes et lui attribue d'autres fonctions aux termes de la Loi sur la protection de l'information.
Permettez-moi tout d'abord de dire que cet examen est fondamental pour garantir que certains organismes, qui doivent nécessairement opérer dans le secret, utilisent les pouvoirs d'intrusion dont ils disposent conformément aux attentes du Parlement.
Je crois que les organismes d'examen comme celui que je dirige s'efforcent d'offrir un apport substantiel à la collectivité de la sécurité et du renseignement. Je constate qu'à l'heure actuelle, on a tendance à présenter la sécurité et la vie privée comme des principes pratiquement antagonistes – comme s'il s'agissait de donner à l'une préséance sur l'autre. À mon avis, cette approche est simpliste. La question met en jeu, d'une part, les droits et libertés démocratiques de la personne, dont fait partie le droit à la vie privée, et, d'autre part, le droit collectif de la société à assurer sa sécurité. Ces deux aspects sont des valeurs fondamentales dans une société transparente et démocratique comme la nôtre, et elles doivent cœxister. Le défi consiste à trouver le juste équilibre en fonction des circonstances particulières.
La question des intérêts concurrents se pose lorsque la société est menacée. Il faut alors décider dans quelle mesure les droits démocratiques de la personne doivent céder du terrain en faveur de la sécurité collective du pays tout entier. Cette décision, qui établit l'équilibre voulu entre les droits individuels et les droits collectifs, est prise par le législateur et fait l'objet d'un débat public.
En 2001, le Parlement a pris cette décision en adoptant le projet de loi C-36, la Loi omnibus antiterroriste. Compte tenu des circonstances et de la véritable menace qui planait à l'époque sur la sécurité collective, le Parlement a agi rapidement mais sans précipitation. Il a fondé ses décisions sur les meilleurs renseignements dont il disposait et sur tous les conseils du public et des responsables des politiques qu'il a eu le temps d'entendre.
Le Parlement a aussi prévu, fort sagement, que l'équilibre défini par la Loi serait soumis à un examen plus approfondi trois ans après son adoption. C'est dans ce contexte que je comparais devant vous aujourd'hui.
La loi que vous examinez est en vigueur depuis près de quatre ans. Il ne m'appartient pas de discuter toutes les dispositions de la Loi antiterroriste, et je n'ai pas l'intention de le faire. En revanche, je peux commenter la modification que le projet de loi omnibus adopté il y a quatre ans a introduit dans la Loi sur la défense nationale. Je peux affirmer sans réserve que cette modification était essentielle sur tous les plans.
La modification à la Loi sur la défense nationale confère au CST de nouveaux pouvoirs visant l'interception de communications privées moyennant une autorisation spéciale du ministre de la Défense nationale. Il convient toutefois de souligner que le législateur a alors posé des conditions bien précises à l'exercice de ces pouvoirs. L'une de mes fonctions consiste à examiner les communications privées que le CST a interceptées sous le régime d'une autorisation ministérielle et de rendre compte au ministre de la légalité de ces interceptions. J'y reviendrai dans un moment.
Mais pour l'instant, j'aimerais discuter de mon mandat général.
J'examine les activités du CST « pour en contrôler la légalité » et m'assurer que l'organisme protège la vie privée des Canadiens. En m'acquittant de cette partie de mon mandat, je mets tout en œuvre pour faire en sorte de ne pas entraver pas les opérations du CST. Je mène également des enquêtes sur les plaintes et j'avise le ministre et le procureur général du Canada de toute activité du CST que j'estimerais ne pas être conforme à la loi. À ce jour, les plaintes ont été réglées de manière informelle, et ni moi ni mon prédécesseur n'avons eu à rendre compte d'activité illicite au procureur général.
Quelles sont les méthodes que j'emploie pour examiner les activités du CST?
Sous mon autorité et ma direction, mon personnel a recours à un grand nombre de méthodes utilisées couramment pour examiner un organisme. J'approuve un plan d'activités triennal, qui est révisé au besoin. J'accorde toujours la primauté aux domaines ou programmes du CST qui pourraient exposer la vie privée des Canadiens. Les pouvoirs que me confère la Loi sur les enquêtes permettent à mon personnel d'avoir accès à tous les locaux, documents, dossiers et employés du CST. Mon personnel examine minutieusement des dossiers et des documents, a des entretiens avec les employés du Centre et effectue ce que je pourrais désigner comme des « contrôles surprise », qui consistent notamment à prendre place aux côtés d'analystes du CST alors que ces derniers font des recherches électroniques et à leur poser des questions. Nous examinons également les bases de données du CST pour vérifier que l'information a été recueillie en toute légalité et que la vie privée des Canadiens a été protégée, comme le prescrit la loi.
Lorsqu'un examen est terminé, je remets au ministre un rapport classifié, dans lequel j'inclus toute recommandation que j'estime pertinente.
Permettez-moi à présent d'aborder l'examen des activités qu'effectue le CST en vertu des autorisations ministérielles que j'ai mentionnées il y a quelques minutes. La loi m'enjoint à examiner les activités menées en vertu de chaque autorisation ministérielle et d'en rendre compte au ministre une fois par an.
Le 19 mai 2005, le ministre a déposé mon rapport annuel au Parlement. Dans ce rapport, je fais remarquer que, pour un juriste habitué aux mandats délivrés par un juge, une autorisation ministérielle est une chose assez étrange. Cependant, il ne faut pas oublier que lorsque le CST recueille des renseignements en vertu d'une autorisation ministérielle, il le fait, comme le prescrit la loi, dans le cadre d'un sous-ensemble d'activités complémentaires à son mandat principal, qui porte sur la collecte de renseignements étrangers.
Une autorisation ministérielle est nécessaire dans les cas où des communications privées risquent d'être interceptées lors de la collecte de renseignements étrangers, alors que l'interception vise toujours – j'insiste sur ce point – une entité étrangère qui se trouve en dehors du Canada, où un mandat délivré par un tribunal canadien ne serait pas valide.
Aux termes du Code criminel, toute communication qui touche le Canada est définie comme une communication privée, y compris lorsque l'interception cible la partie étrangère de la communication. Une autorisation ministérielle représente par conséquent une solution unique à un ensemble tout aussi unique de circonstances pouvant survenir lorsque les communications d'une entité étrangère visée par le CST sont destinées au Canada ou en proviennent. Une fois l'autorisation ministérielle en place, le CST peut conserver et utiliser ces communications, mais uniquement s'il satisfait aux critères énoncés au paragraphe 273.64(2) de la Loi sur la défense nationale.
Les dispositions de la loi qui portent sur les autorisations ministérielles prévoient en outre une exception à la Partie VI du Code criminel. Ainsi, cette partie ne s'applique pas au CST lorsqu'il intercepte une communication sous le régime d'une autorisation ministérielle, ni à la communication elle-même. C'est pourquoi l'interception et la conservation de cette communication privée par le CST ne constituent pas une infraction criminelle. À cet égard, mes fonctions consistent à vérifier que, lorsque le CST a intercepté et conservé une communication privée, il avait été autorisé par le ministre à le faire et a donc agi légalement, et que cette communication était essentielle aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité du Canada.
Au cours de mes discussions avec le ministre, j'ai exprimé mon point de vue sur mes fonctions, notamment sur mon examen des activités que mène le CST en vertu des autorisations ministérielles. C'est un domaine que je continue d'évaluer et d'interpréter très attentivement, car je suis conscient de l'importance des travaux qu'effectue le CST dans l'intérêt du gouvernement du Canada. Je reconnais également l'importance que revêt le fait de pouvoir assurer que le CST s'acquitte de ses responsabilités en veillant à la protection des droits fondamentaux de notre société démocratique, y compris à la primauté du droit.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. J'espère que vos délibérations seront couronnées de succès.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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